La fidélisation : « En voie de disparition »

Si plusieurs restaurants ouvrent chaque année à Montréal, d’autres ferment également. Cela touche aussi les plus grandes institutions. Cela a d’ailleurs été le cas de la Maison Magnan qui a fermé ses portes après  plus de 82 ans de services. Cette institution a été le repère de bien des générations. Des travailleurs, des familles, des hommes et des femmes s’y sont attablés au fil des décennies, commandant assidûment leur rôti de bœuf, spécialité de la maison. Cette clientèle, qui a été si longtemps fidèle, semble depuis quelques années délaisser la maison Magnan. Si la fidélisation est une espèce menacée chez Magnan, elle l’est tout autant dans la restauration montréalaise en général. 

Le restaurant Magnan a survécu longtemps aux années, notamment grâce à son produit vedette: le rôti de bœuf. Les gens venaient pour cette spécialité, ce qui a créé un phénomène de popularité a expliqué le président-directeur général du restaurant, Alain Gauthier. Une clientèle fiable s’est développée au cours du siècle dernier. Elle était principalement composée de nombreux travailleurs du quartier industriel qui mangeaient hebdomadairement voire quotidiennement chez Magnan.

D’ailleurs, ce restaurant était particulièrement achalandé les midis. Le restaurant est passé de 60 places, à son ouverture, à 600 places au cours des années. Depuis la dernière décennie, la clientèle habituelle s’est dissipée faisant en sorte qu’il a été difficile, pour l’établissement, de s’adapter à une baisse d’achalandage dû à la grosseur de son local. C’est ce qui a mené le restaurant vers sa fermeture imminente. Magnan dépend donc de la volonté des clients a affirmé Alain Gauthier.

La fidélisation, de plus en plus rare

Cela est vrai. Sans clients, il n’y a pas de restaurant. Mais qu’en est-il des clients réguliers? Dans le panorama actuel de la restauration montréalaise, la fidélisation est «en voie de disparition» a affirmé le porte-parole de l’Association des restaurateurs du Québec, François Meunier. On est dans une phase de renouvellement de générations a expliqué Meunier.

Alors que les générations précédentes semblaient être plus fidèles aux diverses institutions, aujourd’hui les clients sont avides de changements et se lassent rapidement d’un endroit.  Ils sont en quête de concepts culinaires originaux. Cela vient complexifier la situation des restaurateurs, toujours d’après Meunier.

Selon lui, cela est principalement attribuable au fait que les nouvelles générations soient foncièrement attirées vers la nouveauté. Ce comportement se ressent dans leurs habitudes en restauration. D’ailleurs, dans un bilan de la revue Hôtels, restaurants et institutions (HRI) sur les tendances à venir en restauration, la journaliste Ginette Poulin a indiqué qu’il faudra tenir compte des

«jeunes de la génération Z qui exigent un service plus rapide et moderne, des expériences au-dessus de la norme».

Bref, il faudra répondre à leurs besoins d’immédiateté et de nouveauté.

En quête d’expériences culinaires

Désormais, les clients souhaitent aller dans les restaurants «qui offrent une expérience non-reproductible à la maison: des produits de découvertes» a affirmé le président et éditeur de la revue HRI, Robert Dion. Les consommateurs recherchent de la nourriture de qualité, qui n’est pas trop dispendieuse et qui fait leur bonheur a indiqué l’éditeur.

Toujours selon Dion, la tendance est à la restauration de niche plutôt qu’à la restauration générale. En d’autres mots, les gens souhaitent retrouver un concept spécialisé plutôt qu’une carte très diversifiée, comme cela est désormais le cas du restaurant Magnan.

Selon Ariane Krol, éditorialiste à La Presse et foodie dans l’âme, les concepts ethniques ont également la cote chez les clients. «Les Montréalais, et les Québécois en général, sont très ouverts», ils sont curieux et aiment les surprises a-t-elle affirmé. Il y a également une émergence du côté de la cuisine japonaise, toujours selon l’éditorialiste. «On n’a jamais vu autant de restaurants de ramen» a assuré Robert Dion.

Une chose est sûre, la clientèle recherche l’inédit. Elle s’intéresse aux établissements qui offrent «quelque chose qui n’existe pas ailleurs dans le portrait culinaire» a affirmé Krol.  À Montréal, il y a énormément d’offres et de concepts inventifs pour attirer les consommateurs. La concurrence est élevée et il y a un fort roulement. Les nouveaux restaurants pullulent attirant de nombreux clients qui délaissent leurs valeurs sûres pour s’adonner à de nouvelles expériences.

Succès éphémère des nouveaux restaurants

Toutefois, selon Alain Gauthier, les nouveaux restaurants attirent une grande clientèle de curieux, mais l’engouement est très éphémère. Selon lui, il s’agit d’un effet de mode: rares sont les restaurants qui perdurent. François Meunier entérine les dires de Gauthier en affirmant que peu de restaurants survivent à leur propriétaire d’origine, comme cela a été le cas du restaurant Magnan. La fidélisation est assurément une des causes de cette équation.

Pour les consommateurs, il est évident qu’il s’agit d’un «moment merveilleux» pour aller au restaurant, car «les gens [restaurateurs] rivalisent d’ingéniosité» a affirmé Krol. Les clients voguent d’un endroit à un autre sans forcément désir de retour. Ils investissent dans une expérience et ils souhaitent être séduits. Si les clients sont choyés par la myriade de possibilités, à l’inverse, les restaurateurs nagent dans un monde d’instabilité. Très peu peuvent se fier à une clientèle fidèle et assurée.

Magnan, la fin d’une époque

Magnan, en fermant ses portes, fermera aussi un lieu d’histoire qui est né de la présence de quelques fidèles. Si grands-parents et arrière-grands-parents ont côtoyé cette institution, année après année, il semblerait que les nouvelles générations n’en fassent pas leur lieu d’intérêt. Le mot d’ordre est au changement: on veut du neuf! Et si on est fidèle à notre caféteria du matin, on l’est bien moins au restaurant du coin.

Photo : Michaël Monnier. Contrairement à la maison Magnan, les classiques continuent d'attirer les foules chez Dinette Triple Crown dans le quartier prisé de la Petite Italie.