Quand Daniel devient Danielle

Danielle est assez discrète.

Elle habite un petit appartement, bien rangé, bien propre. Sans histoires.

Sa vie d’aujourd’hui, elle l’a construite avec patience, avec acharnement, pour arriver à être bien, à être elle-même.

Ça n’a pas toujours été ainsi. Pas lorsque Danielle était Daniel.

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« Déjà tout petit, je me savais différent »

Élevé par une famille catholique sur une ferme dans les Laurentides, il fait bon vivre, à condition d’être comme les autres.

« Dès que possible, j’essayais le linge de ma mère, je développais déjà un côté féminin. C’était normal pour moi, d’écouter mes envies, mes pulsions. »

Ce sont les autres qui se chargent de lui rappeler son étrangeté. Dans l’autobus, au parc, et même à la maison.
« Je me faisais traiter de garçon manqué, de fifille, et bien plus »

Daniel ne les blâme pas. Lui-même ne savait pas ce qu’il était. Trop de questions, trop de doutes. Gars ou fille ? Si seulement la réponse était si simple.

« Je n’étais pas bien. Sans cercle d’amis, sans vraiment me comprendre, je ne savais pas qui j’étais. »
À 19 ans, il quitte les Laurentides pour Montréal.

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À Montréal, la ville est plus ouverte. Même si Daniel est féminin, il se fait un cercle d’amis, il fréquente un homme, vit une passion, se découvre, tranquillement.

« Rapidement, je me suis lié d’amitié avec des dragqueens. Elles m’ont habillé en femme, pour le plaisir. Je me sentais enfin bien, libre, au bon endroit. »

Intrigué, il rencontre un psychologue qui lui confirme ce dont il se doutait. Il n’est pas Daniel. Il n’a jamais été Daniel. Depuis toujours, c’est Danielle qui est prise dans le corps de Daniel.

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Soulagée, Danielle réalise rapidement que le plus difficile est à faire.

Elle prend des hormones, pour que son corps suive son identité.

Reniée par sa famille, elle n’a pas beaucoup d’attaches. Elle veut devenir femme, se faire opérer, mais elle a besoin d’argent, de beaucoup d’argent.

Employée d’un restaurant, Danielle est confinée à la plonge. Pour son boss, aucune chance d’exposer aux clients une « mi femme/mi homme ». Les commentaires sur son apparence fusent de toutes parts, des cuisiniers jusqu’aux gens dans la rue.

Désabusée, elle quitte cet emploi.

« Je voulais, je devais compléter ma transformation. »

8000$ pour se faire poser des seins. 13 000$ pour une épilation au laser. 4000$ pour se faire sabler la pomme d’Adam. 3000$ pour sabler l’arcade sourcilière.

« Devenir femme a un prix, un gros prix. »

 

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Sans vraiment de travail, avec une panoplie de pilules hormonales qui modifient ses sensations, ses besoins, ses émotions, que faire ?

« J’étais un peu perdue. J’ai suivi le chemin qui est trop souvent emprunté par les transsexuelles égarées. La prostitution. »

Cet argent facile est tentant, et surtout utile pour payer les transformations.

« J’y suis resté juste assez longtemps, assez pour faire un peu d’argent. J’étais trop terre à terre, j’ai quitté le milieu. »

« Beaucoup n’ont pas cette chance et demeurent pris dans ce monde. Les transsexuelles sont vraiment en demande en prostitution. Vraiment. »

Le sexe, la drogue, l’argent. Il en devient facile d’oublier le chemin initial. Un cercle vicieux qui en engouffre plusieurs.

 

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« Être transsexuelle, c’est entrer dans un monde particulier, distinct. »

« Ça devient difficile de créer et entretenir de vraies relations, normales, qui dépassent le stigmatisme « trans ». En amour comme en amitié. »

Elle rencontre plusieurs hommes, des homosexuels, des trans, des hétérosexuels…

« Les hormones propulsaient vraiment ma sexualité, ce qui était vraiment facile à combler. Mais vite, j’avais envie de plus, de remplir ce besoin de partage, d’amour. »

Elle fréquente quelques hommes, qui ont tous en commun une certaine honte, une certaine gêne face à ce qu’ils définissent comme sa « condition ».

Danielle est un homme devenu femme, métamorphosé physiquement partout sauf son organe sexuel.

Elle s’accepte, a confiance en elle et se trouve belle, normale.

Mais le regard des autres, lui, est trop souvent empreint de jugement.

« Me cacher, me mentir, c’est refuser de reconnaître que je suis qui je suis »

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18 ans après s’être découverte femme, Danielle demeure seule.

Elle fait des ménages pour payer son loyer, essayant toujours d’agrandir son cercle social ailleurs que dans la communauté trans.

« Je me sais quand même chanceuse, de m’en être bien sortie, d’être bien avec moi-même. »

Dès qu’elle peut, elle donne un coup de main à l’Association des Trans du Québec, qui vient en aide aux transsexuelles en difficultés, en questionnements.

Une ligne d’écoute confidentielle et gratuite a été mise en place. « De chez moi, je reçois des appels de transsexuelles partout à travers la province qui ont besoin d’aide, qui ont des questions, qui veulent seulement parler. »

« Je veux aider, comme je peux, transmettre mon message. »

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Dans son appartement, Danielle s’est créé son petit monde.

Ses murs sont ornés de tableaux, de livres, de films représentant des figures de proue du mouvement transsexuelle.

Sa maison, son espace, est une sorte d’ode à sa vie, à son cheminement.

Elle voudrait s’en défaire, trouver l’amour, être identifiée à autre chose.

« « Il ou elle », c’est ce qui aura défini sa vie. »