Dans l’antre de Julien Doré, sculpteur de glace, il fait moins 10 degrés Celsius de température ambiante. C’est dans son « congélateur » qu’il réalise toutes ses créations. Les pièces en gestation sont parfaitement polies et sont presque tièdes au toucher. Découverte.
- Comment as-tu appris à sculpter la glace ?
« J’ai appris sur le tas, au concours de sculpture du village, mais depuis il y a des écoles de sculpture sur glace qui naissent un peu partout. »
« La sculpture sur glace, c’était une tradition au Québec. On construisait d’immenses châteaux de glace. Le monde travaillait moins l’hiver. C’était à même le fleuve qu’on allait casser les bloques de glace. À Saint Côme, on tire encore la glace du fleuve. »
À l’usine montréalaise où Julien loue son « congélateur », c’est dans la « piscine à glace » de bois traditionnelle, ou dans une machine métallique moderne que sont moulées les briques d’eau cristallisée.
- La glace, est-ce une matière difficile à sculpter ?
La glace est souple. « Quand on sculpte c’est mou », ajoute Julien.
Julien lèche, souffle, enlace la glace.
« La scie c’est vraiment mon crayon à moi », dit julien en effectuant de fines retouches du bout de sa tronçonneuse.
La matière glacée est très fragile. Le moindre courant d’air provoque l’érosion de la sculpture.
- Le métier de sculpteur de glace, est-ce difficile ?
« J’ai tout le temps froid. Il faut de la force. » Julien porte, transporte plusieurs tonnes de glace par jour par des températures extrêmes. « Le travail de la glace est extrêmement physique ».
Alors qu’il s’échine à graver un bloc de glace, son téléphone sonne. Le diagnostic tombe. Son médecin lui confirme qu’à force de travailler dans ces conditions extrêmes, il a développé une maladie chronique : le syndrome de Raynaud. Certaines parties du corps cessent d’être irriguées par le sang.
- Y a-t-il de la place pour la création parmi toutes ces commandes ?
« Moi je n’aime pas créer de nouvelles formes parce que ça prend trop de temps et ce n’est pas rentable. Je me base sur des modèles, bien que je sois techniquement capable d’en créer par moi-même. Au quotidien, mon inventivité s’exprime surtout à travers ma façon de trouver de nouvelles solutions pour sculpter la glace. Il n’y a pas de limites à ce qu’on nous demande. »
« Dans le milieu, on m’appelle l’‘Architecte de la glace’. J’aimerais construire une cathédrale. »
- Es-tu en train de transmettre ton savoir-faire à d’autres ?
« La transmission se fait ensemble, de sculpteur à sculpteur, c’est comme ça que la discipline évolue », affirme Julien.
- La sculpture sur glace, est-ce qu’on en vit bien ?
« C’est dur d’en vivre, je suis chanceux. Je suis une compagnie », explique Julien. Selon lui, il n’y a pas beaucoup d’argent pour l’art en Amérique du Nord ». Si la « saison morte » commence en mars, Julien Doré a des contrats toute l’année en faisant affaire avec de grands noms, comme l’équipe de soccer montréalaise l’Impact.
Un client appelle Julien pour régler les derniers détails de la facture. Infatigable optimiste, Julien affirme qu’une sculpture réussie, même vendue en dessous du prix. « C’est payant autrement. C’est la preuve de ce que je suis capable de faire ! » C’est pour mon book, mon porte-folio que des gens vont liker jusqu’en Chine !».
- Ressens-tu une certaine frustration du fait qu’une structure de glace est éphémère?
Les yeux pétillants, le sculpteur déclame que si son art est éphémère, c’est ce qui fait sa beauté.
« Dans un sens c’est de la sculpture jetable ».
« Le fait que ce soit éphémère est ce qui est payant, ça ne dure pas vingt ans, on m’en recommande. C’est aussi gagnant, car quand on est artiste on ne peut pas regarder une œuvre sans en voir tous les défauts. Une sculpture, ce n’est jamais fini. Il reste le côté imaginaire…Et j’imagine qu’elle était parfaite ! »