Les enfants pris au piège

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Crédit photo : Michaël Monnier


 

Maurina Beadle, une mère de famille autochtone, a demandé au gouvernement canadien des soins à domicile pour l’aider à s’occuper de son fils Jeremy atteint d’hydrocéphalie, de paralysie cérébrale, de courbature vertébrale et d’autisme. Le gouvernement a refusé.

Des parents autochtones ont demandé au gouvernement les fonds nécessaires pour acheter un fauteuil roulant pour leur enfant atteint de paraplégie. Le gouvernement a refusé. La famille n’a eu d’autre choix que d’organiser une levée de fonds à même la communauté.

Ces histoires, parmi tant d’autres, circulent dans les communautés autochtones du Canada. Là-bas, les enfants atteints d’un handicap attendent des mois, voire des années et trop souvent, ne reçoivent même jamais les soins auxquels tous les enfants canadiens ont droit. Ils se retrouvent, bien malgré eux, pris au piège de disputes purement bureaucratiques.

« C’est quand ces enfants vivent sur une réserve qu’ [obtenir des soins] devient compliqué », explique Dr Caroline Tait, anthropologiste médicale à l’Université de Saskatchewan.

Car contrairement aux autres enfants canadiens, les premières nations reçoivent leurs prestations de services sociaux et médicaux soit du gouvernement fédéral, soit du gouvernement provincial, soit du conseil de bande, tout dépendant de la juridiction dans laquelle ils se trouvent. De quoi en perdre plus d’un. Pour les instances gouvernementales, c’est surtout une excuse de plus pour se passer la facture, pendant que les familles autochtones attendent au bout des procédures bureaucratiques de recevoir l’aide médicale dont leurs enfants ont tant besoin.

« Que faisons-nous subir à nos enfants ? »

Dr. Caroline Tait explique que les communautés autochtones, en plus d’être les victimes de ces disputes, comptent aussi considérablement moins de professionnels de la santé spécialisés et reçoivent 25% moins de subventions pour la santé que le reste de la population. Elles manquent d’équipements, de services de répit, de psychiatres et d’interventions en petite enfance.

« Il n’y a simplement pas les mêmes services de diagnostic, il n’y a pas les mêmes systèmes d’aide dans les écoles, il n’y a pas le même niveau de soutien qu’il y a ailleurs (au Canada) », déplore Dr Tait.

Un enfant qui souffre d’un trouble sévère du développement, par exemple, a besoin de l’assistance et du suivi médical d’un professionnel spécialisé. Mais pour les familles autochtones, avoir accès à des services et de l’équipement spécialisé s’avère un combat perdu d’avance.

« Pour des enfants avec des troubles neurodéveloppementaux, l’accès aux services d’orthophonie, d’ergothérapie, de physiothérapie et l’accès à un suivi psychologique est extrêmement limité », confirme le Dr Kent Saylor, pédiatre au Programme de santé du nord à l’hôpital de Montréal pour enfants.

Le programme auquel participe le Dr Saylor est le seul à offrir un service de consultations en soins pédiatriques aux familles autochtones à Montréal et dans les communautés du nord du Québec.

Mais malgré cette initiative, les familles manquent toujours de ressources pour répondre aux besoins médicaux de leurs enfants handicapés. Certains parents font le choix difficile, tant financièrement qu’émotionnellement, de quitter leur communauté pour venir s’installer dans un centre urbain, avec l’espoir d’y obtenir des soins.

« Certaines familles ne cherchent même pas à recevoir un diagnostic [pour leur enfant] simplement parce que c’est trop cher et trop compliqué à obtenir », déplore Dr Caroline Tait.

C’est ce qui arrive trop souvent dans le cas du Syndrome d’alcoolisation foetale (SAF). Le SAF est un handicap mental et physique provoqué par l’exposition du foetus à l’alcool et il est, croit-on, considérablement plus répandu parmi les communautés autochtones que parmi le reste de la population canadienne. Mais sans ressource, difficile pour les enfants des premières nations d’être diagnostiqués ou de recevoir de l’assistance médicale et un encadrement adéquat.

Dr Tait explique que les enfants autochtones atteints du SAF sont ballotés entre leur famille d’accueil et leurs parents biologiques, ou bien parfois entre différentes familles d’accueil.

« C’est une des pires choses qu’on peut faire à un enfant atteint du SAF : ne pas lui offrir un environnement stable qui comprend son handicap et qui peut mettre en place le soutien et les services dont il a besoin » s’indigne-t-elle.

Un rapport accablant. Pas de réponse.

Lorsque vient le temps de répondre aux besoins médicaux des enfants premières nations, le gouvernement canadien fait la sourde oreille.

Bien qu’un des programmes de l’AINC (Affaires indiennes et du Nord Canada) ait été élargi en 2003 afin d’y inclure l’aide aux enfants ayant des besoins médicaux particuliers, aucune aide financière supplémentaire n’a été accordée pour refléter ce changement.

En février dernier, des chercheurs canadiens en collaboration avec UNICEF Canada, l’Assemblée des Premières Nations, l’Association canadienne des centres de santé pédiatriques et la Société canadienne de pédiatrie ont publié un rapport qui accusait le gouvernement canadien de ne pas accorder aux enfants autochtones un accès juste et équitable aux soins de santé et aux services sociaux.

« Parce que la structure de prestation des services de santé et des services sociaux est si différente pour les premières nations, tant au niveau du nombre de personnes qu’ils doivent contacter, du nombre d’agences (à qui s’adresser), du nombre de juridictions impliquées dans la prise de décision, tout ça fait que c’est beaucoup plus difficile d’obtenir des services », affirmait alors Dr Lucyna Lach, professeur associée à l’Université McGill et co-auteur du rapport.

Pourtant, en 2007, pour éviter les attentes interminables pour les familles autochtones, le principe de Jordan a été adopté par la Chambre des communes. Le principe affirme que peut importe à quel gouvernement incombe la responsabilité de payer les frais médicaux exigés, c’est au gouvernement contacté en premier par la famille de s’acquitter de la facture, les disputes devant être réglées plus tard. Le principe est nommé en l’honneur de Jordan River Anderson, un enfant autochtone Cri du Manitoba atteint d’un trouble musculaire complexe. Jordan est mort à l’âge de 5 ans, sans jamais avoir pu passer une seule journée à la maison, car les gouvernements provinciaux et fédéraux ne pouvaient s’entendre pour savoir qui devait payer les frais de soutien à domicile.

Malgré l’adoption du principe de Jordan il y a déjà 8 ans, le rapport publié plus tôt cette année révèle qu’au contraire, le gouvernement canadien continue de l’interpréter de façon étroite ou même de l’ignorer complètement.

« On va voir le gouvernement fédéral et ils disent « non, ce n’est pas notre responsabilité », et le conseil de bande dit aussi « non, ce n’est pas nous ». Alors à qui incombe la responsabilité et l’obligation de payer? », s’interroge Dr Lucyna Lach, inquiète.

En février, quand le rapport venait tout juste d’être publié Dr Lach disait  « avec ce rapport, les expériences [des familles autochtones] sont validées et nous appelons le gouvernement à l’action ». Afin que la situation s’améliore pour les familles, Dr Lach et les autres auteurs du rapport suggéraient la mise en place d’un processus transparent et cohérent pour régler les revendications, l’allocation de ressources financières et humaines suffisantes pour la mise en œuvre du principe de Jordan et la supervision d’un organe de contrôle indépendant.

Le rapport est-il passé inaperçu ? A-t-il été oublié ? Ignoré? Des mois plus tard, les plaintes du peuple autochtone sont restées lettre morte.