Sur le chemin du retour après une longue journée de travail, isolée, dans le fond du bus, Nadège profite de sa solitude.
Elle repense aux « mauvaises choses » qu’elle a pu faire dans la journée.
Et imagine ce qu’elle aurait pu « mieux faire ».
Le regard baissé sur son téléphone portable, elle médite sur un jeu de Majong.
Nadège a 34 ans.
Elle a été triathlonienne, mannequin, chanteuse, et compagne d’un acteur hollywoodien.
Nadège est aussi borderline.
La psychiatre Valérie Tourjman définit le trouble borderline comme
« un trouble qui est caractérisé par des interactions rigides, répétitives et mal adaptées. »
« Les individus borderline éprouvent de la difficulté à tolérer le rejet,
ont un sentiment de vide intérieur et présentent des comportements autodestructeurs. »
« Je ne serai pas une victime de ma condition », insiste Nadège.
Les borderline développent des stratégies pour diminuer l’intensité de leur douleur.
On retrouve chez eux certains comportements compulsifs comme le magasinage.
« Tu dois m’arrêter parce que je vais avoir envie d’acheter tout le magasin », explique Nadège.
Nadège choisit un sachet de thé étiqueté d’une citation.
Elle lit : « Tu te sentiras comblé de faire l’impossible pour quelqu’un d’autre ».
Elle s’exclame : « Wow, c’est exactement ce que je fais en ce moment » !
C’est que Nadège veut sortir du silence. Pour la première fois elle se confie.
Elle veut témoigner de son histoire, pour que les gens sachent.
« Maintenant je sais qui je suis ».
« J’apprécie le cérémonial du thé :
tel thé pour tel sentiment,
Chaque thé te fait te sentir différent ».
Elle conseille : « Assieds-toi et prends du recul,
bois ton thé, et laisse ton imagination déborder. »
Nadège a toujours un vernis dans son sac.
Elle associe les couleurs selon ses humeurs.
Les couleurs la font vibrer comme elles font vibrer les toiles qu’elle peint à ses heures perdues.
« Si l’on n’a pas besoin de moi, pourquoi suis-je là ? »
Nadège s’en prend parfois à elle.
Elle dit avoir fui très jeune la maison familiale,
avoir un passé mêlé de violences et de dépendances.
« Aujourd’hui, explique la psychiatre Valérie Tourjman,
on assimile le Trouble de Personnalité Limite
au Syndrome de Stress Post-Traumatique.
On est plus dans une explication environnementale.
On retrouve beaucoup d’histoires d’abus physiques ».
« Quand je vois le sang,
c’est la seule chose qui me rappelle que je suis en vie.
Je ne ressens rien, j’essaye de ressentir n’importe quoi,
j’essaye de ressentir quelque chose. »
Son sang est de type B+. Sonia y lit un signe spirituel : « Be positive ».
« Avec l’âge, la personnalité borderline a tendance à s’estomper », affirme la Dr Valérie Tourjman.
« J’ai tellement hâte d’avoir 45 ans! s’exclame Nadège.
Tu as juste envie de sortir de la vingtaine.
J’aurais alors appris mes leçons de vie, et je saurais où je vais ».
Selon Dr Tourjman : « les personnes atteintes par ce trouble ne peuvent pas retourner
à un fonctionnement que l’on qualifierait de “normal”.
Leur comportement est en fait leur fonctionnement normal ».
« Malgré les livres et les films consacrés récemment aux borderline,
cette étiquette demeure difficile à porter »,
conclue la psychiatre Tourjman.