Vivre après l’horreur : Les Chrétiens d’Orient

Un reportage de Rita Boghokian et Isabelle Sokolnicka pour Presse21


Derrière la  guerre en Syrie, il y a des hommes et des femmes. Ils ont vécu des atrocités. Échappés à la mort. Fuyant l’horreur, certains s’établissent ici, au Québec. Pour refaire leur vie. Pour tenter d’oublier. Les massacres viennent les hanter. Parmi ces immigrants fraichement débarqués, Samer Kasis.

Assis dans un café, coin Marcel Laurin, il nous raconte son histoire.  «  J’étais au travail à Damas. Je suis sorti du bureau pour effectuer une transaction administrative. Arrivé place Jermana, il y avait devant moi  une soixantaine de personnes. J’attendais mon tour. Soudain on a entendu un bruit de sifflement. Suivi de deux explosions. J’ai revolé dans les airs. Je suis tombé par terre. J’étais conscient mais je saignais. Mes vêtements étaient devenus rouges.  Autour de moi gisaient des corps. Il y avait une femme au visage brûlé. Un homme, encore conscient, avait perdu une jambe. J’ai tenu ses mains en lui disant que les secours allaient arriver. Je n’ai jamais eu de ses nouvelles après. »

Samer  reprend son  souffle. 2 ans après, il est encore bouleversé.

Il  poursuit : «  c’était comme dans les films. J’attendais que le réalisateur nous ordonne d’arrêter le tournage pour que tout revienne comme avant, mais c’était bel et bien la réalité. »

Jusqu’au moment où …

Avant l’explosion qui a failli lui coûter la vie, Samer Kasis  vivait  aisément dans une Syrie dont l’économie prospérait encore. Il venait de terminer des études à l’université de Damas et occupait un poste de gestion dans l’entreprise américaine KODAK. Il voyageait même souvent dans le cadre de son travail.  « Au début de la guerre, en 2011, les bombardements étaient loin de Damas où j’habitais » se rappelle-t-il.  « Rapidement, la guerre s’est rapprochée. Ça a commencé à toucher nos amis, nos voisins, des gens qu’on connaissait. Jusqu’au moment où ça m’a touché et fait basculer ma vie. »

Gravement blessé, Samer est transporté d’urgence à l’hôpital de Damas. Il y subit des opérations aux jambes et à la hanche. « Je suis resté à l’hôpital quatre mois. Entre temps, l’horreur se poursuivait. », raconte-t-il avec émotion. « Mon amie qui était venue me rendre visite à l’hôpital est décédée lorsqu’une bombe a atteint le bus scolaire dans lequel elle se trouvait. »

En quatre ans, la guerre en Syrie a engendré une crise humanitaire colossale qui se compte en centaines de milliers de morts et en millions de réfugiés, qui comme Samer cherchent à retrouver un semblant de normalité.

INFOGRAPHIE-SYRIENS

 

Continuer à vivre …

C’est à sa sortie de l’hôpital que Samer décide de quitter définitivement la Syrie. Il choisit le Canada, un pays qu’il avait déjà visité lors d’un voyage. En novembre 2013, ses papiers d’immigration sont acceptés, il laisse derrière lui ses deux soeurs et il part…

Malgré les difficultés, Samer se dit surtout heureux d’avoir « un nouveau pays » et dans le but  d’intégrer la société québécoise, il apprend maintenant le français au Collège Bois-de-Boulogne. « Je veux construire ma vie ici » nous dit-il, plein d’espoir, « et recommencer à travailler. »

Mais pour l’instant, Samer doit trouver la force de guérir de ses blessures, tant intérieures qu’extérieures. Car en plus d’avoir du se faire réopérer à la jambe à son arrivée au Québec, il doit maintenant suivre des traitements de physiothérapie à l’Hôpital Royal Victoria. Pour surmonter les épreuves, il s’entoure des membres des communautés qui l’ont accueillie à Montréal. Il est animateur bénévole à la radio libano-canadienne Sawt el Rab (« La voix du Seigneur ») et chante dans la chorale Antaka à l’église syriaque de Montréal – une passion qui le suit depuis Damas, où il s’impliquait aussi dans la chorale de l’église Said Dimachk.

Montréal, Sherbrooke : même combat

C’est dimanche. Dans le sous-sol de l’église Saint-Ephrem à Sherbrooke, une vingtaine de familles, des réfugiés chrétiens venus d’Irak et de Syrie, se retrouvent pour partager leurs histoires, leurs expériences.

Dans la cuisine, des femmes et des hommes coupent des tomates et des carottes, la joie et les sourires bien présents sur leurs visages.

Ils préparent ensemble les plats. Les partagent. Discutent. Dansent ensemble. Mais au delà des sourires, chacun a son histoire et un passé lacéré par la guerre.

Fanar Rahmani, la cinquantaine, vit depuis trois ans à Sherbrooke. Elle a fui l’horreur de la guerre en Irak: « On a essayé de me kidnapper. J’ai reçu des menaces de mort », confie-t-elle. Chaque dimanche, elle retourne à l’église Saint-Ephrem pour aider les familles syriennes qui comme elle ont vu la guerre détruire leur pays. C’est grâce à l’église, et surtout grâce à son porte-parole George Mourani qui l’a parrainée, qu’elle a pu venir au Canada.

George Mourani est la première bouée de sauvetage pour ces nouveaux arrivants. Il les accueille et les guide dans les processus administratifs qui peuvent s’avérer fastidieux. «  Parfois je dois remplir près de 57 pages [de papiers] pour chaque réfugié et le gouvernement ne facilite pas le tâche » évoque M. Mourani. Jusqu’à présent, l’église a, grâce à lui, parrainée près de 90 familles syriennes.

Il aide aussi les réfugiés à compléter les papiers d’assurance médicale et d’assurance-emploi, à inscrire les enfants à l’école et à trouver un travail. Il ramasse des dons en argent, en vêtements et en nourriture. Et surtout, il organise les rencontres à l’église Saint-Ephrem, pour que les réfugiés ne se sentent pas isolés, loin de leur pays.

« Ce n’est pas toujours facile, insiste M. Mourani, mais leur volonté de s’intégrer est immense ».